L’amour, la relation, le couple, est une singulière aventure, une traversée au long cours. Comme l’explique le médecin sexologue Sylvain Mimoun[1], le « Nous » est un projet « chargé de toutes les attentes, de tous les rêves, et menacé de toutes les imperfections[2] ». La navigation de la vie amoureuse peut être fluide et paisible par moment, mais il peut aussi arriver que le vent change, conduisant le couple à faire route sur des océans d’émotions, des mers d’incertitudes jalonnées d’imprévisibles dangers.
En consultation, je rencontre des hommes et des femmes qui évoquent leur relation sentimentale, leur mariage, leur vie amoureuse ou sexuelle, parfois mélancoliques des premiers moments de leur couple à ses débuts. D’une certaine façon, ils s’accrochent au souvenir idéalisé de cette période magique de découvertes et de séduction de leur amour originel.
Pour garder le cap, les partenaires vont devoir vivre tout un apprentissage, une maturation, un travail d’acceptation de l’autre, vers une évolution incontournable, petit deuil du couple idéel, vers la cocréation d’une relation mature et constructive, empreinte de communication et de concession. En somme, il va falloir s’adapter et avoir le pied marin !
Vendée Globe[3] versus Route du Rhum[4]
Le couple naissant va ainsi prendre la haute mer, et s’exposer aux vents et aux courants du large. Dans son ouvrage, le Dr Mimoun distingue les trois principales phases ou étapes à franchir pour solidifier la relation jeune vers un couple durable à proprement parler :
- La phase de la fusion (1+1=1) : fusion, symbiose, osmose… Dans cette période d’émerveillement et de fascination, c’est le « Nous » qui compte, le « Moi » se retrouvant en retrait. C’est la période où l’on ne fait qu’un avec l’autre, où l’on fait tout ensemble, où l’on se comprend, sans avoir besoin de parler, dans une complicité totale, une communion d’idées, de pensées et de valeurs... Les activités sont pratiquées à deux, très peu de choses sont envisagées sans l’autre, c’est la phase de création d’une bulle dans laquelle on s’isole délicieusement à deux, loin des autres, tant on a l’impression d’avoir trouvé la moitié de soi, l’âme sœur.
- La phase de dé-fusion (1+1=3) : Cette phase fait forcément suite à la première ; cette période permet la réappropriation de soi comme sujet individualisé, et l’on y redevient en quelque sorte soi-même. C’est là que nous affirmons alors nos différences, nos goûts et nos valeurs distinctes, mais aussi nos désirs, nos priorités, nos croyances, nos défenses. L’équation est alors composée de chaque Moi (1+1), le tout additionné d’une entité à part entière qu'est la relation, le couple. C’est à ce moment où les partenaires se défusionnent et se différencient à nouveau. Cette distanciation de l’autre peut être mal vécue, et faire rejaillir d’anciennes blessures de rejet, d’imperfection ou d’abandon. Il s’agit d’une étape dangereuse pour le couple, une phase de déséquilibre à traverser, où les voies d’eau sont probables, les écueils pas toujours apparents et les abandons nombreux.
- La phase d’exploration du cadre : C’est ici que s’entame une répartition des temps, ceux que l’on souhaite vivre à deux, et les autres. Dans cette période, chacun se tourne vers l’extérieur, les amis, les sorties, les activités mises en pause pendant les deux précédentes phases. Cette période est tout aussi délicate à négocier, en fonction du degré d’élasticité, d’ouverture et d’écoute dans le couple. Entre balance et juste distance à trouver, c’est une période de questionnement et d’influences extérieures, de comparaison à d’autres couples aussi. De cette remise en question de la relation s’établira ou non une communication positive, une exploration des contours de la relation, une mer moins formée, calme mais trompeuse, car potentiellement porteuses d’autres troubles, les non-dits, malentendus, frustrations... Autant de risques de chavirer.
Après les alternances de sérénité et de gros temps, le couple-équipage, parfois éprouvé, se dirige vers l’équilibre-socle, la stabilité et la maturité. Le couple a travaillé ses ressources, renforcé ses liens pour construire l’avenir. Il a un horizon. Toutefois, il n’existe pas de règles gravées dans le marbre, pas de durée ou progression normale, de programme à suivre, parce qu'évidemment chaque couple est unique.
Météo émotionnelle et communication
Au XXIe siècle, il est plus naturel et admis d’afficher des décalages de comportements et d’états d’âme dans le couple : Désormais, des hommes peuvent avoir des comportements que l’on prétend féminins, et vice et versa. Mais le plus souvent l’homme se définit par le « faire ou l’agir », le métier exercé, les sports ou activités pratiquées, les études suivies, les projets en cours.
La femme se décrira plus facilement par sa situation sentimentale, conjugale ou familiale, mais aussi par le caractère, les traits de personnalité, en somme par « l’être », comme l'explique la psychologue clinicienne Yolanda Mayanobe[5]. Ainsi les émotions masculines et féminines s’expriment de manière différente, même si encore une fois, rien n’est absolu ni figé.
Pour les femmes, les mots choisis traduisent la palette émotionnelle et affective. Elles parlent plus librement de leurs émotions et ainsi relâchent les tensions, y compris par les larmes. Les hommes peuvent être déroutés par ces manifestations émotionnelles, car certains hommes sont encore persuadés de devoir camoufler leurs affects ou leurs émotions. Comme si le contrôle leur était indispensable pour rester crédibles. A noter que les hommes qui ont engagé un travail thérapeutique ou qui ont réfléchi sur eux-mêmes sont fréquemment plus disposés aux échanges, à évoquer leurs états émotionnels. Si les femmes ont besoin de se raconter et d’être écoutées _ même sans apport de solutions concrètes _ certains hommes se retrouvent parfois en décalage face à ces attentes, auxquelles ils répondent par des tentatives de solutions, voire d’injonctions (« il faut », « tu devrais » etc…). En effet, les messieurs sont globalement moins enclins à attendre un conseil ou une aide, préférant intérioriser les difficultés jusqu’à trouver leur solution.
Rugissants, hurlants, déferlants[6]
En matière de couple, il existerait des étapes temporelles synonymes de crise : 3 ans, 7 ans, 10 ans… sans qu’il s’agisse là encore d’une règle, norme ou vérité. Beaucoup de divorces sont prononcés entre 3 et 4 ans de mariage. Il existe d’autres périodes temporelles délicates à franchir, telle la naissance du premier enfant, voire le départ du dernier de la maison. En fait chaque grand bouleversement peut générer une crise dans le couple : Mutation ou changement de travail, déménagement, problèmes de santé, départ à la retraite ou perte d’emploi… Si le divorce[7] a été multiplié par 4 depuis les années 60, 18% ont lieu avant 5 ans de mariage, et 33% avant 15 ans.
Alors pourquoi se séparent-on ? La sociologue Irène Thery[8] nous apporte quelques éléments de réponse. Elle évoque côté femme, les difficultés liées à l’indifférence, la divergence d’intérêt, les injures et problèmes sexuels, le caractère de l’autre dans 21% des cas ; à 15% pour l’adultère ou la naissance d’un enfant ; la violence physique pour 13%, les problèmes professionnels 7%, la maladie ou un accident 6%, pas de crise précise 5%, la famille (mésentente avec la famille de l’autre ou sa propre famille) à 4%, et une rubrique « divers » à 14% regroupant des problématiques d’alcoolisme, d’abandon du domicile.
Côté homme, les motivations évoquées sont à 21% des difficultés de couple à proprement parler, pas de crise précise pour 17%, l’adultère 16%, le travail ou la naissance d’un enfant 8% ; la famille 7%, la maladie ou accident 6%, le départ du domicile 4% et la rubrique « divers » (alcoolisme et violences) à hauteur de 13%. A noter comme le souligne I. Théry dans son livre, la violence physique évoquée par les femmes est ignorée par les hommes , et l’absence de crise supposée par les hommes (17% des récits masculins) n'est qu'à 5% pour des récits féminins.
Des chiffres qui donnent à penser.
Il est probablement illusoire de vouloir changer l’autre, le transformer pour qu’il/elle ressemble à notre idéal (féminin ou masculin). Le couple est affaire de concession, complicité, communication et tendresse, autant que de respect, de sentiment et de sensualité. Lorsque le couple est en crise, il vaut mieux dédramatiser avant d’entamer immédiatement une thérapie de couple, voire une séparation. Si le thérapeute peut soutenir et aider une personne qui s’interroge sur sa vie personnelle et sur l’avenir de sa relation, c’est avant tout à chacun, individuellement de progresser de manière active sur cette démarche. Le « tout-tout-de-suite » ou le « tout-ou-rien » ne sont pas réalistes ni rentables, en amour comme dans les relations humaines en général. Les difficultés en amour se surmontent avec dialogue, volonté, courage, engagement, acceptation, intelligence et … petits pas.
Très souvent, nous nous apercevons en thérapie que l’homme et la femme ont tous les deux raison, disent chacun à leur manière la même chose, voire ont les mêmes besoins. Dans la relation homme-femme, c’est d’abord d’être écouté, rassuré et compris qui permet d’avancer. Si les mots d’amour calment les maux d’amour, l'amour reste fragile et s'entretient, car « l’amour naît de rien et meurt de tout[9] ».
---- Marie-Christine Abatte ----
Psychologue & thérapeute
[1] Le Dr Sylvain Mimoun, gynécologue, andrologue et sexologue, intervient régulièrement dans le journal de la santé sur les questions de sexualité, et a une chronique dans Femme Actuelle.
[2] S. Mimoun et R. Etienne “Sexe et sentiments” (2004) Albin Michel.
[3] Un tour du monde en solitaire, sans escales et sans assistance. La course – surnommée « l’Everest de la mer » à cause de sa difficulté – prend la mer tous les quatre ans, au départ des Sables d’Olonne, en Vendée.
[4] Ici pas de tour du monde, une « simple » traversée de l’océan atlantique, sur les traces des anciens bateaux marchands. Créée en réponse au refus de 56 bateaux jugés trop gros par les anglais, elle est relativement courte (10 jours à peine) et relie tous les quatre ans Saint Malo à Pointe-à-Pitre.
[5] Yolande Gannac- Mayanobe http://lartdubonheuralicien.blogspot.com/2014/08/qui-suis-je.html
[6] Rugissants, hurlants, déferlants : Les 40e rugissants, 50e hurlants, et 60e déferlants sont des vents que l’on retrouve dans l’Océan Austral, au plus proche de l’Antarctique. Ils portent les numéros des parallèles qui les délimitent, dans l’hémisphère sud. Leurs noms bruyants peuvent effrayer, et à raison : longtemps redoutés en raison de leur puissance, ils ont façonné les routes maritimes des navires qui se hasardaient dans ces eaux.
[7] Source : Francoscopie 2003, Editions Larousse
[8] Irène Thery « Le démariage. Justice et vie privée ». Irène Théry, sociologue du droit, directrice de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Marseille, a beaucoup travaillé les liens entre couple, filiation et parenté, ainsi que les questions relatives au divorce. https://cjf.qc.ca/revue-relations/publication/article/au-temps-du-demariage-entrevue-avec-irene-thery/
[9] Citation d’Alphonse Karr, romancier.