Dans cet article j’ai envie à nouveau d’ouvrir ma boite à outils thérapeutiques et de présenter de façon simple et accessible, un de mes outils : l’ICV[1]. Je m’appuierais sur la synthèse de deux autres articles, l’un paru dans le journal L’Express en 2017 « Thérapie brève : « L'ICV permet de comprendre comment le passé affecte le présent[2] » par Leslie Rezzoug, et celui rédigé par Aurore Aimelet _ retranscription d’une interview de la Psychologue ICViste Johanna Smith[3] _ « L’ICV permet de laisser derrière soi un passé douloureux[4] », article paru dans Psychologie magazine de juin dernier.
Qu'est-ce que l'ICV ? L’acronyme ICV pour Intégration du Cycle de la Vie (ou Lifespan Integration en anglais), désigne une méthode de thérapie psycho-corporelle créée par une américaine Peggy Pace, aux débuts des années 2000[5]. » Il s’agit d’une thérapie psycho-corporelle qui repose sur la capacité du système corps-esprit de se guérir lui-même. Cette approche est basée sur la répétition d'une liste chronologique de souvenirs depuis la naissance jusqu'à aujourd'hui, afin de contribuer à l’intégration neuronale, et une guérison profonde d’un large panel de symptômes, chez les patients de tous âges.
Passé présent
L'ICV était, au départ, destinée à aider les personnes ayant vécu des traumatismes lourds, comme des attentats par exemple. Pour la psychologue Joanna Smith, l’Intégration du cycle de la vie et son outil original, la « ligne du temps », remettent les souvenirs à leur place. En 2010, Joanna Smith découvre les travaux de Peggy Pace, une psychologue et thérapeute de l'Etat de Washington, qui depuis 2002 développe avec ses clients la technique de l'Intégration du Cycle de la Vie (ICV) dans son cabinet privé. : « Alors que je travaille en tant que psychologue en hôpital psychiatrique, et curieuse de ses résultats plutôt encourageants, je propose l’Intégration du cycle de la vie à plusieurs de mes patients qui, après un passé douloureux, présentent des troubles anxieux invalidants. En effet, lorsque nous avons vécu un traumatisme ou souffert de carences affectives, notre esprit a beau savoir que ces événements appartiennent au passé, ils résonnent au présent, et nous adoptons des mécanismes de défense automatiques inappropriés. »
Mais comment se manifeste ce passé douloureux dans notre présent ? Effectivement des événements éprouvants ou traumatisants du passé, même lointains comme ceux de la toute petite enfance, impactent encore le présent de certaines personnes. Je prendrais l’exemple de ce jeune entrepreneur qui après avoir eu un accident de voiture, avait beaucoup de difficultés à conduire et même à entrer dans un véhicule, alors que cela était tout à fait indispensable pour son travail. Ou encore de cette femme qui a souffert d’une enfance difficile auprès de parents négligents, sans réellement en mesurer l’impact profond, et qui devenue adulte craint l’engagement et sabote ses relations.
Traverser sa vie
C’est un peu comme si le cerveau n’avait pas intégré que c’était fini, et qu’il continue à vivre la charge traumatique de l’événement au présent. L’idée de l’ICV est de faire traverser un à un les souvenirs pour communiquer, non plus seulement à l’esprit mais au corps lui-même, l’information du temps qui a passé et que c’est terminé.
L’objectif est de permettre à notre système _ le système « corps-esprit » _ d’intégrer les événements, les positionner au passé, à leur place véritable. « J’ai constaté que ce voyage dans le passé diminuait la charge émotionnelle des souvenirs douloureux de mes patients. […]. Lorsque je rencontre un patient, je cherche à comprendre si ses symptômes (stress, difficultés relationnelles, conduites addictives ou évitantes) sont liés à un ou plusieurs traumatismes ou, deuxième grande indication de l’ICV, à un trouble de l’attachement et à une mauvaise régulation des émotions. […] Ensuite je présente au patient le cadre de la thérapie, j’explique le concept de mémoire traumatique et l’approche de l’ICV, dont la “ligne du temps” est l’outil principal : Concrètement, il s’agit de dresser une liste de souvenirs chronologiques pour reconstituer son histoire. […] Ce peut être le cas d’un patient qui, élevé par un père très autoritaire, a du mal à s’affirmer ; ou d’une patiente qui souffre d’attaques de panique, n’ayant pu construire un sentiment de sécurité suffisamment solide auprès de parents très anxieux. Dans ces cas-là, nous allons remonter le temps au tout début de l’enfance. Parce qu’il n’existe pas de souvenirs précis de cette période, je vais faire imaginer au patient son développement vraisemblable : à 1 an, il commençait à se mettre debout, à 2 ans, il parlait, etc… » (Joanna Smith).
Une machine à remonter le temps issue de l’EMDR…
Au début des années 2000, la psychothérapeute américaine Peggy Pace utilise l’EMDR[6], une méthode consistant à réactiver un souvenir traumatique pour en diminuer la charge émotionnelle. Elle remarque alors que certains patients restent comme « bloqués » dans le passé. En les aidant à retraverser les événements de leur vie, elle observe une amélioration. Elle développe alors l’Intégration du cycle de la vie[7] (Lifespan Integration), qui s’appuie sur un nouvel outil thérapeutique, la ligne du temps.
Comme avec d’autres approches thérapeutiques, les résultats en ICV vont dépendre de l'objectif de chaque sujet. Dans le cas d'un traumatisme lourd, il s'agira de désamorcer les pics d'angoisse et autres manifestations douloureuses pour le patient. « On peut dire que l'on est traumatisé quand on se sent impuissant, incapable de gérer sa douleur pendant une longue durée », explique Joanna Smith. Au-delà d'un certain niveau de stress, notre système nerveux se désactive. On est comme engourdi, anesthésié, ou gelé. Pour se sortir de cet engrenage, il faut pouvoir réintégrer l'événement dans son histoire autobiographique, et pouvoir progressivement s’y connecter un peu plus calmement. « Pour les problèmes liés à l'attachement, le processus est différent : on va apprendre aux patients « carencés » en affection à prendre soin d'eux, à se redonner de l'attention et de la tendresse. Il s'agit d'un travail de fond qui se fait sur plusieurs séances. » (Joanna Smith)
L'ICV se base donc sur le constat que la remémoration d'un traumatisme active des sensations dans le corps, comme si ce dernier était resté bloqué au moment de l'événement douloureux sans pouvoir s'en libérer, alors que la partie rationnelle du cerveau sait pourtant que tout cela est bel et bien terminé. Le but de la thérapie ICV est donc de permettre au cerveau d'assimiler ces informations et d'apaiser le corps en lui faisant prendre conscience qu'il n'est plus dans la situation traumatisante.
… pour augmenter les connections neuronales
L'intégration du traumatisme au niveau neuronal est possible grâce à la neurosplasticité du cerveau, c'est-à-dire à sa capacité de se restructurer neuronalement tout au long de la vie. L'ICV se base également sur le postulat neuroscientifique de Hebb[8] selon lequel "des neurones qui se stimulent en même temps sont des neurones qui se lient ensemble" ("neurons that fire together wire together ").
L'approche thérapeutique d'Intégration du Cycle de la vie a recours à l'imaginaire, ce qui est fondé sur les recherches neuroscientifiques des années 90 démontrant que le cerveau ne fait pas la différence entre ce qu'il vit réellement et ce qu'il imagine. L'ICV s'appuie sur les recherches qui postulent que l'intégration neuronale de l'enfant en développement se développe grâce à la co-construction du récit autobiographique entre les parents et l’enfant. Ce sont les répétitions de ce voyage chronologique à chaque séance qui vont engendrer une prise de conscience et prouver au cerveau _ et surtout au corps _ que le passé est bien passé. Il dure moins de trois séances pour un traumatisme simple et peut prendre quelques années en cas de troubles importants de l’attachement, même si les symptômes s’améliorent souvent dès les premières semaines. « Le patient entre en thérapie parce qu’il souffre, même s’il “sait” que son passé est loin derrière lui ; il en sort lorsqu’il “sent” que son passé est derrière lui et que, en conséquence, il souffre moins. » (Joanna Smith)
« Le traumatisme fait partie de la vie. Et le corps en garde les traces et une mémoire qui imprègne nos émotions[9] » (Van Der Kolk). L’ICV s’avère donc être une approche de pointe pour traiter l’attachement, les problèmes de régulation émotionnelle et les traumas, notamment liés à des événements dont on ne garde aucun souvenir car ayant eu lieu avant l’apparition du langage (traumas pré-verbaux). Mais fort heureusement, si « le corps n’oublie rien » il a la capacité, avec un peu d’aide, de s’auto-guérir.
---- Marie-Christine Abatte ----
Psychologue & thérapeute
[1]L’intégration du cycle de la vie ou ICV (ou encore Lifespan integration en anglais) est une approche thérapeutique créée aux Etats-Unis en 2002.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Int%C3%A9gration_du_cycle_de_la_vie
[2] Article publié le 30/04/2017 : https://www.lexpress.fr/styles/psycho/therapie-breve-l-icv-permet-de-comprendre-comment-le-passe-affecte-le-present_1897506.html
[3] Joanna Smith, 2016. Psychothérapie de la dissociation et du trauma, Ouvrage collectif, Dunod
[4] « L’ICV permet de laisser derrière soi un passé douloureux », mis à jour le 24 juin 2021 par Aurore Aimelet https://www.psychologies.com/Therapies/Toutes-les-therapies/Therapies-breves/Articles-et-Dossiers/L-ICV-permet-de-laisser-derriere-soi-un-passe-douloureux#xtor=EPR-50
[5] P. Pace l'a théorisé dans son livre « Lifespan Integration : connecting Ego States through time » publié en 2003 et traduit en français en 2014 sous le titre « Pratiquer l'ICV (Dunod)
[6] Les initiales EMDR signifient « eye movement desensitization and reprocessing » c’est-à-dire désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires.
[7] Association francophone d’ICV (aficv.com)
[8]Donald Hebb, né à Chester, en 1904 et mort en 1985 dans la même ville, est un psychologue et neuropsychologue canadien. Ses travaux sur l'apprentissage par des réseaux de neurones artificiels ont eu une influence décisive sur les neurosciences cognitives et l'intelligence artificielle.
[9] « Le Corps n’oublie rien : Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme » de Bessel van der Kolk chez Albin Michel. Bessel van der Kolk est un psychiatre américain d’origine néerlandaise, spécialiste du syndrome de stress post-traumatique, professeur de psychiatrie à la Boston University, et qui a fondé le Trauma Center de Boston.