Lisia est une aficionada[1] d’art taurin. Elle suit assidument _ le plus souvent avec toute sa famille _ les courses taurines de son village et des villages avoisinants, du printemps à l’automne. Malheureusement, elle n’a pas pu voir les taureaux passer devant la foule lors de l’encierro[2] ce dernier dimanche d’août. Un important vertige, la vision devenue floue et le souffle court, des battements de cœur très accélérés et une sensation d’oppression l’avaient amenée à terre, puis au poste de secours.
Alitée pendant près d’une heure « comme dans le brouillard », après transpirations et tremblements, elle était rentrée chez elle, soutenue par sa famille mais encore oppressée et perturbée. Elle dit ne pas comprendre ce qui lui est arrivé. Certes, la foule dense, les records de chaleur, l’effervescence et l’enthousiasme étaient réels, mais rien qui pour Lisia puisse expliquer cette crise où elle a cru mourir. Peu après, le médecin des pompiers venu l’ausculter lui annonce « Vous avez eu une attaque de panique. »
Paniquer, vient de « panikos » en grec, qui renverrait au dieu Pan, le dieu « qui troublait les esprits[3] ». « Dans la guerre des Titans contre Jupiter, Pan fut le premier qui jeta la terreur[4] dans le cœur de ces Géants », un dieu « inspiré par les forces invisibles et mystérieuses de la nature. »
La panique serait dans sa définition « une grande peur, une terreur qui survient de manière subite et violente, en troublant l'esprit et le comportement »[5] ; ou « une vive terreur, soudaine et irraisonnée, souvent dénuée de fondement qui affecte le plus souvent un groupe ou une foule, et provoque de grands désordres. »
Désordre troublant
On sait aujourd’hui que 5 à 30 % de la population connaitra une crise de panique au cours de sa vie, avec une proportion de 2 femmes pour un homme. Une attaque de panique (ou crise d'angoisse aiguë) est un épisode de peur soudaine et de haute intensité. L’attaque de panique n’est pas un trouble en tant que tel, mais les symptômes et manifestations de l’épisode-panique _ bien que délimité dans le temps _ peuvent être véritablement impressionnants. En effet, les personnes qui vivent une crise de panique ressentent pendant plusieurs minutes un sentiment de terreur, accompagné de symptômes physiques intenses. La durée totale d’une crise varie de quelques minutes à une heure, voire un peu plus, avec une moyenne de 20 à 30 minutes[6]. Pendant cet épisode, la personne atteinte a l’impression de ne plus du tout maîtriser la situation.
Sonner l’alarme
L’attaque de panique est un accès de peur ou de malaise intense, en une montée parfois très rapide et qui atteint son point culminant avec la manifestation d’au moins 4 symptômes tels que :
- Des palpitations, des battements de cœur perceptibles ou accélérés
- Sueurs
- Tremblements
- Sensations de dérobement des jambes (impression que l’on va tomber).
- Essoufflement, souffle coupé, sensation d’étouffement
- Gorge qui serre, sensation d’étranglement
- Oppression ou gêne thoracique
- Gêne abdominale
- Vertiges, nausées
- Frissons ou bouffées de chaleur
- Sensation de fourmillements ou d’engourdissement (paresthésies)
- Flottement, sensations d’irréalité (déréalisation)
- Peur de perdre de contrôle, de perdre l’esprit
- Peur de mourir
Non-dysfonctionnelle, l'attaque de panique est en réalité une réaction physiologique d'alarme qui permet à l’organisme de se préparer à faire face à un danger, qu’il évalue comme sérieux et immédiat. Il se déclenche alors un ensemble de manifestations, certes pertinentes mais potentiellement aussi désagréables qu’incomprises.
Face à la menace
Face à une menace ou un danger, le système corps-esprit se met en état d’urgence vital absolu. Comme chez la plupart des mammifères, des manifestations biophysiologiques utilisent l’énergie et les ressources du sujet dans un objectif de survie.
L’amygdale cérébrale _ cette petite zone cérébrale qui gère les émotions _ envoie un signal à l’hypothalamus, qui lui-même stimule le système nerveux pour que les glandes surrénales produisent plus d’adrénaline. Il y a accélération du rythme cardiaque (tachycardie), augmentation du rythme respiratoire pour plus d’oxygène (hyperventilation), une vasoconstriction au niveau de la peau (horripilation) déclenche le hérissement des cheveux et des poils[7]. Le sujet est pale car le sang est mobilisé stratégiquement, la pression artérielle est accrue. Un afflux massif de sang et de sucre arrive aux muscles pour agir, au cerveau pour réfléchir, au cœur qui est l’organe du combat, le tout en vue d’une action intense et imminente.
La transpiration augmente pour « refroidir la machine », à contrario de certaines fonctions qui s’arrêtent momentanément, comme la digestion (péristaltisme). Il existe parfois des douleurs abdominales, voire des pertes d’urines ou de selles _ car en phase de menace, manger, digérer ou encore contrôler les sphincters n’est plus une priorité.
L’énergie est utilisée ailleurs.
Réflexes primitifs critiques
Le danger et la phase aiguë passés, des tremblements contribuent à l’évacuation du stress et des tensions. A noter que les tremblements et secousses musculaires _ souvent interprétés comme une manifestation de froid ou de peur _ permettent au contraire « d’éteindre la peur », en évacuant l’énergie mobilisée pour la situation critique.
Il existe plusieurs définitions de la « criticité » : Nous retiendrons qu’elle suppose de manière générale « d’amener un changement » ou encore « d’arriver à une phase finale » pour une pathologie[8] notamment. Elle peut inciter également à porter un regard sur « l’occurrence, la gravité et les conséquences » d’une situation _ pour résumer succinctement la méthode AMDEC[9] _ ou encore elle est une vigilance sur des « réactions en chaine non désirées » comme dans le domaine de l’ingénierie nucléaire par exemple.
Toutes ces réactions physiologiques sont sous le contrôle du SNA[10] ou système nerveux autonome sympathique. Il s’agit de réactions justifiées et adaptées en situation de danger pour rendre possible l’une des deux options réflexes en cas de menace : la fuite ou l’attaque, en fonction des possibilités. Chaque crise de panique va donc mobiliser et puiser dans les ressources physiques et psychiques, laissant place à un intense épuisement.
Réactions en chaine ?
La fréquence et l’intensité des crises de panique peuvent devenir envahissante pour la vie de la personne qui les subit. Personnelle, sociale ou professionnelle, la vie peut devenir problématique et source d’inquiétudes, entraînant le sujet à vivre dans la peur constante d'un nouvel épisode de panique.
Mario est employé d’agence bancaire. Il se réveille souvent en sueur au milieu de la nuit, le cœur battant la chamade, terrorisé mais sans raison apparente. Il a souvent des idées qui tournent en boucle, sa dernière angine _ il y a quelques jours _ lui avait amené des pensées tenaces et funestes de cancer de la gorge. Il se plaint de fréquentes palpitations cardiaques et craint l’infarctus.
C’est son premier contrat de travail dans cette enseigne bancaire, après une longue période sans emploi, puis de remplacement et de missions de travail temporaire. Mario est fatigué par son sommeil fractionné mais ravi de cette opportunité, autant qu’il est conscient de l’enjeu : il s’installe bientôt avec Julia _ qui vient de découvrir sa grossesse _ et il doit passer positivement la barrière de la période d’essai pour remplir les conditions locatives de leur futur appartement. Mais en descendant dans la salle des coffres un matin _ un espace feutré qu’il connait pourtant très bien _ il avait senti ses mains trembler et « une pointe au cœur », convaincu de vivre le signe avant-coureur de la crise cardiaque tant redoutée. La pensée qu’il allait mourir et laisser Julia et son futur bébé seuls dans la vie l’avait terrifié.
Quand les attaques sont récurrentes et inattendues, on ne parle plus d’attaque isolée mais de trouble panique. Si ressentir de l'anxiété dans certaines occasions est tout à fait normal, on parle de « trouble panique » lorsque les crises de panique sont répétitives et imprévisibles.
Le trouble panique fait partie de la grande famille des troubles anxieux[11]. Car dans le cas du Trouble Panique (TP), cette réaction n'est évidemment pas appropriée à la réalité puisque le danger n'est pas réel, mais plutôt perçu comme tel par la personne. Dans le trouble panique, il y a installation d’une crainte durable d’une nouvelle attaque, avec des comportements d’évitement, installant et verrouillant un cercle vicieux.
Seul ou combiné
Le DSM-5[12] recense le Trouble Panique (TP), et précise que ce trouble peut s’associer ou non à d’autres troubles (agoraphobie, stress post-traumatique…). Pour qu’il y ait Trouble Panique, il doit y avoir des attaques de panique récurrentes et inattendues comme évoquées plus haut, associées soit à une crainte persistante que surviennent d’autres attaques de panique ou de leurs conséquences (perte le contrôle, perdre l’esprit ou la vue, faire une attaque[13] etc…) ; soit à un changement de comportement significatif et inadapté en relation avec les attaques comme l’évitement par exemple (situations, lieux…).
La tétanie (contraction musculaire) et la spasmophilie (tendance aux spasmes) sont deux diagnostics souvent formulés après une crise d’angoisse plus ou moins spectaculaire. La plupart des chercheurs[14] pensent actuellement qu’elles sont des manifestations du Trouble Panique[15].
Anticipation
Éviter les espaces publics par exemple ne préviendra pas les attaques de panique. Au contraire, cela peut renforcer le principe d’évitement et le « chroniciser ». Aussi désagréable et impressionnante que soit une attaque de panique intense, elle ne dure en général que quelques minutes et n’entraine pas le décès. De même, il est impossible que la personne s'évanouisse, car l'organisme est hyper-activé. Si une crise survient, la meilleure chose à faire est de rester sur place et de respirer lentement jusqu’à ce que la crise s’arrête (quelques minutes). Cependant les manifestations physiques intenses et les interprétations « alarmistes » et démesurées de la personne augmentent l’angoisse[16] : Elle craint de s’évanouir, de mourir, de « devenir folle », de se trouver dans un monde irréel ou de perdre le contrôle d’elle-même, ainsi renforçant la réaction physiologique d'alarme et créant le cercle vicieux de l'attaque de panique : la personne développe une anxiété anticipatoire, que l’on pourrait résumer par « la peur d’avoir peur ».
Agora[17]
L’agoraphobie peut se coupler au Trouble panique. L’agoraphobie est définie comme l'appréhension démesurée de tous les endroits ou situations, dont on ne pourrait sortir facilement en cas de crise ou d'attaque de panique, et dans lesquels on ne pourrait pas être aidé ou secouru (lieux clos ou au contraire vastes espaces vides, locaux publics et grands magasins, foule, transports en commun, ascenseurs…).
Ces situations déclenchent, chez la personne agoraphobe, des états d'anxiété et des malaises qui la limitent alors dans ses possibilités de déplacement.
Lisia a très mal vécu son épisode panique. Elle se disait en souffrance psychique depuis, de par l’incompréhension de son trouble.
Nous avons travaillé sur « les interprétations catastrophistes » des manifestations physiologiques qu’elle traduisait plus ou moins inconsciemment comme le signal d’un danger vital.
Lisia comprends mieux ce qui se passe dans sa vie, et ce qui l’effraie. Elle a aussi porté un œil plus juste sur cet enchainement de manifestations, dont l’objectif concret est de donner « toute la puissance » à son système corps-esprit en situation « d’alarme apprise ». Elle a pris conscience de son discours intérieur, de l’origine de ses croyances dramatiques, et de ses stratégies de contrôle devenues inefficaces.
Elle a intégré des méthodes de retour au calme et appris à poser de la distance face à ses perceptions de situation et ses pensées dysfonctionnelles.
Mario a saisi le mécanisme du programme d’hyper-vigilance qui tournait en boucle dans son esprit, « changé son Mindset » de lutte pour se sentir en sécurité. En intégrant que le danger n’existe que dans sa perception inconsciente de la situation comme « une affreuse certitude[18] », il a notamment appris à respecter ses limites et à se reposer, sans culpabilité.
Marie-Christine Abatte
Psychologue et thérapeute
[1] Aficionada (de l’espagnol « amateur ») : Qui est passionnée, adepte de, fanatique. Wikipedia.org
[2] Encierro (de l’espagnol « enfermement ») : Désigne le trajet des taureaux des corrales aux arènes, plus globalement il s’agit de lâchers de taureaux de Camargue sur un parcours clos. (…) Les villageois à pied excitent les taureaux et leur échappent en se réfugiant sur des ballots de paille ou derrière des barrières. Wikipedia.org
[3] Selon le dictionnaire de Littré (1872-1877)
[4] Régine Borderie « Sur la panique : mythe, figures, savoirs. » Dans Poétique 2011/2 (n° 166), pages 215 à 227
L’Histoire nous apprend que Pan, alors qu’il accompagnait Bacchus lors d’une expédition aux Indes, trouva le moyen de semer la terreur au sein de l’armée ennemie avec l’aide d’une petite compagnie et de ses clameurs dont il parvint à tirer un bon parti grâce à l’écho des parois rocheuses et des cavernes de cette vallée boisée. Les hurlements rauques renvoyés par les grottes, ajoutés à l’aspect repoussant de lieux aussi sombres et déserts, suscitèrent chez les ennemis un tel sentiment d’horreur que, parvenus à cet état, leur imagination les aida à entendre des voix et sans aucun doute à voir aussi des figures plus qu’humaines ; pendant ce temps-là, le caractère incertain de ce qu’ils redoutaient augmentait l’intensité de leur crainte et des regards furtifs la propageaient plus rapidement que n’importe quel récit. Voilà ce que les hommes ont après coup appelé une panique. https://www.cairn.info/revue-poetique-2011-2-page-215.htm
[5] « Et la pantomime éternelle de la terreur panique a si peu changé, que ce vieux monsieur à qui il arrivait une aventure désagréable dans un salon parisien, répétait à son insu les quelques attitudes schématiques dans lesquelles la sculpture grecque des premiers âges stylisait l'épouvante des nymphes poursuivies par le Dieu Pan. » Proust, Prisonn., 1922, p.317.
[6] AMELI : https://www.ameli.fr/gard/assure/sante/themes/trouble-panique/symptomes-diagnostic-evolution#:~:text=En%20cas%20de%20trouble%20panique,la%20répétition%20de%20l%27attaque.
[7] Principe biophysiologique, un mécanisme utilisé par les chats ou les oiseaux pour se montrer plus menaçants face à l’adversaire en situation de danger.
[8] Dictionnaire Littré, 1762
[9] L’AMDEC est l'Analyse des Modes de Défaillances, de leurs Effets et de leur Criticité. L'AMDEC est un outil utilisé dans la démarche d’analyses et de prévention des risques. Elle identifie les points de défaillance d’un produit, d’un procédé ou d’un processus, qui sont susceptibles de compromettre la qualité ou de pénaliser la performance.
[10] Le SNA, système nerveux autonome, dirige les fonctions involontaires du corps, celles que le corps contrôle de lui-même. Il est composé d’un ensemble de neurones régulant les fonctions automatiques de l’organisme en modulant la respiration, le muscle cardiaque, les vaisseaux, les hormones. Il est composé de deux bras complémentaires, le système nerveux sympathique et le système nerveux parasympathique. www.neurocoach.fr
[11] Au XIXe siècle, connait l’accroissement de plaintes d’origine nerveuse où l’anxiété aigüe et chronique joue un rôle de plus en plus important. […] Bien que des symptômes d’anxiété aient été observés depuis longtemps, on considérait qu’ils faisaient partie des états de mélancolie, et ils étaient difficilement classés comme des troubles indépendants. Ce n’est qu’en 1879 que la psychiatrie a commencé à utiliser le terme technique de « panique mélancolique » (Pereira, 1997). Oliveira Dos Santos L., (2017) « Problématisation de l’apparition du trouble panique en psychiatrie » Nouvelle revue de Psychosociologie 2017/2 N°24 https://documentation.insp.gouv.fr/insp/doc/CAIRN/_b64_b2FpLWNhaXJuLmluZm8tTlJQXzAyNF8wMDgx/problematisation-de-l-apparition-du-trouble-panique-en-psychiatrie?_lg=fr-FR
[12] DSM-5 du 17/6/2015 : Le DSM-5, dernière et cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, et des troubles psychiatriques (en anglais Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) de l'Association américaine de psychiatrie (APA, en anglais : American Psychiatric Association).
[13] Dans les années 1860, durant la guerre civile américaine, le médecin Jacob Da Costa s’est intéressé à un état clinique fréquent chez les soldats, qu’il a appelé « syndrome du cœur irritable » […] (ou névrose cardiaque), […] précurseur de ce que nous appelons aujourd’hui le « syndrome panique ». (Pereira, 1997). Oliveira Dos Santos L., (2017) « Problématisation de l’apparition du trouble panique en psychiatrie » Nouvelle revue de Psychosociologie 2017/2 N°24
[14] https://www.quebec.ca/sante/conseils-et-prevention/sante-mentale/informer-sur-troubles-mentaux/troubles-mentaux/troubles-anxieux/trouble-panique-et-agoraphobie
[15] A ne pas confondre Spasmophilie, tétanie, épilepsie. Voir https://therapeutesmagazine.com/spasmophilie-tetanie-epilepsie-quelles-differences/
[16] La psychiatrie adopte la distinction entre Angoisse (du latin Angor), qui veut dire oppression et grande affliction, et anxiété (en latin anxietas), qui serait une prédisposition permanente.
[17] L’agora a d'abord désigné, dans la Grèce antique, une réunion de citoyens, ainsi que l'espace public où celle-ci a lieu. Cet espace public accueille plus généralement les activités sociales, politiques, commerciales, judiciaires ou encore religieuses de la cité. Le forum est l'équivalent romain de l'agora. Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Agora
[18] Lacan, J., « Le Séminaire » livre X, L’Angoisse, op. cit., p. 92 dans https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2013-2-page-94.htm