Comme le disait Victor Hugo, « les plus désespérés sont les chants les plus beaux ». Cette vérité résonne particulièrement dans une histoire simple mais profonde, celle de deux souris confrontées à leur destin dans un seau de crème. Une parabole rendue célèbre par le film "Arrête-moi si tu peux" de Steven Spielberg, mais dont la portée dépasse largement le cadre cinématographique pour toucher aux fondements mêmes de notre capacité à survivre et à nous transformer.
La métaphore du seau de crème
Cette histoire, c’est celle exposée par Frank Abagnale _ père de Franck Abagnale Jr. incarné magistralement par Leonardo Di Caprio _ lors d’un discours au Rotary Club devant un parterre de personnalités influentes : « Deux petites souris tombent dans un seau plein de crème. La première souris abandonne très vite la lutte et se noie. La deuxième souris ne renonce pas, elle se débat tant et tant qu’elle finit par transformer la crème en beurre. Et elle sort du seau...
Messieurs, à partir de cet instant, je suis la deuxième souris ! »
Cette histoire nous rappelle les célèbres mots de Nietzsche : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ». Au-delà de l'adage populaire, cette métaphore illustre une réalité psychologique plus profonde : la capacité de transformation face à l'adversité.
Entre neurobiologie et psychologie : les fondements de la survie
Steven Spielberg nous offre une fascinante illustration de virtuosité entre confiance en soi et instinct de survie, mettant en scène l’histoire vraie d’un adolescent de 16 ans connu pour être l’un des escrocs les plus recherchés des Etats-Unis dans les années 60, Franck Abagnale Junior.
Il est fascinant de noter que Steven Spielberg lui-même, ayant traversé le divorce difficile de ses parents à l'adolescence, a su transformer cette épreuve en force créatrice. Cette résonance personnelle avec l'histoire qu'il met en scène illustre comment nos expériences les plus douloureuses peuvent devenir le terreau de nos plus grandes réalisations.
C'est l'amygdale cérébrale, cette structure ancestrale nichée au cœur de notre cerveau, qui joue un rôle crucial dans notre réponse au stress. Comme l'expliquent LeDoux et Pine (2016), elle orchestre une combinaison de réactions qui peuvent soit nous paralyser _ à l'image de la première souris _ soit nous propulser vers la transformation comme la seconde.
De la crème au beurre
Albert Camus écrivait : « Au milieu de l'hiver, j'ai découvert en moi un invincible été ». Cette image poétique trouve son écho dans les mécanismes de la neuroplasticité cérébrale. Nos expériences, même les plus éprouvantes, modifient littéralement l'architecture de notre cerveau (Davidson & Begley, 2020). La transformation de la crème en beurre n'est pas qu'une métaphore, elle illustre comment nos efforts persistants peuvent modifier la structure même de notre réalité.
La résilience face à l’adversité, un héritage ?
Nos capacités à transformer l'adversité en opportunité s'inscrivent dans un dialogue constant entre notre héritage et notre construction personnelle. Les travaux de Dweck (2017) sur la mentalité de croissance nous montrent que cette capacité de transformation n'est pas innée mais peut se cultiver.
« Le plus court chemin de soi à soi passe par autrui » dit Paul Ricoeur. Cette transformation nécessite souvent un regard extérieur, un accompagnement, une reconnaissance de nos capacités en devenir.
Au-delà de la métaphore, l'histoire des deux souris nous rappelle que face à l'adversité, nous avons toujours le choix. Non pas le choix des circonstances bien sûr, mais celui de notre réponse. Comme le jeune Franck Jr écartelé entre un père déclassé et pathétique, et une mère tantôt proche, tantôt lointaine, « ce qui importe n'est pas ce qu'on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-même de ce qu'on a fait de nous » (Sartre).
Plus qu'une histoire de persévérance, la transformation de la crème en beurre est une invitation à reconnaître notre capacité innée à transformer nos obstacles en opportunités, nos difficultés en forces.
Une invitation à devenir, comme le suggérait Frank Abagnale, « la deuxième souris ».
Car au fond, comme nous le rappelle cette histoire, la résilience n'est pas tant dans notre capacité à résister qu'à nous transformer. Elle réside dans cette alchimie subtile qui transforme nos épreuves en expériences, nos obstacles en tremplins, notre crème en beurre.
Marie-Christine Abatte - Psychologue et thérapeute
Références
Davidson, R. J., & Begley, S. (2020). *The emotional life of your brain: How its unique patterns affect the way you think, feel, and live - and how you can change them.* Penguin Books.
Dweck, C. S. (2017). *Mindset: Changing the way you think to fulfill your potential.* Robinson.
LeDoux, J. E., & Pine, D. S. (2016). Using neuroscience to help understand fear and anxiety: A two-system framework. *American Journal of Psychiatry, 173*(11), 1083-1093. https://doi.org/10.1176/appi.ajp.2016.16030353
Citations littéraires et philosophiques référencées :
- Albert Camus, *L'Été* (1954)
- Victor Hugo, *Les Chants du crépuscule* (1835)
- Friedrich Nietzsche, *Le Crépuscule des idoles* (1888)
- Paul Ricœur, *Soi-même comme un autre* (1990)
- Jean-Paul Sartre, *Saint Genet : comédien et martyr* (1952)
Terminologie :
Plasticité cérebrale https://fr.wikipedia.org/wiki/Plasticité_neuronale
Référence cinématographique :
Spielberg, S. (Réalisateur). (2002). *Catch me if you can* [Film]. DreamWorks Pictures.https://www.youtube.com/playlist?list=PLw0Bto8kaPJp_6tDO0IH5EbLkCUt0bb3r